La mutation de l’entreprise est en marche

Echanges électroniques, téléprésence, télétravail, culture collaborative, Facebook, Twitter, Linkedin, réseau social d’entreprise… redessinent assez brutalement les contours de l’entreprise d’aujourd’hui. Dominique Turcq, fondateur de l’Institut Boostzone consacré à l’avenir du monde du travail et ancien président de l’AFPLANE (Association Française des directeurs de stratégie), dresse un panorama de l’impact de ces nouveaux outils technologies sur le management.

En quoi les médias sociaux et les NTIC (1) révolutionnent-ils les façons de communiquer et de manager dans l’entreprise ?
Les réseaux sociaux, la digitalisation et la mobilité poussent à compléter la traditionnelle hiérarchie verticale par une hiérarchie horizontale. Aujourd’hui, pour échanger avec une personne d’un silo voisin, un employé utilise le mail, le téléphone sans passer par le responsable hiérarchique. Les organisations virtuelles, les communications collaboratives, le télétravail changent notablement l’organisation de l’entreprise. Les fonctions RH, IT, Communication, Juridique, assez indépendantes auparavant, sont, ainsi, de plus en plus imbriquées. Si un collaborateur veut utiliser son smartphone personnel comme outil de travail, l’IT doit créer des sécurités supplémentaires, la RH veiller au respect des horaires, le Juridique s’inquiéter car le réseau de l’entreprise devient accessible de l’extérieur et enfin, la Communication veiller à ce qu’il n’en dise pas trop…

Quid de l’accès aux réseaux sociaux externes depuis l’entreprise ?
Ce sont de véritables outils de travail, les interdire est impensable mais les utiliser requiert des précautions. Quand un ingénieur pose une question technique sur un forum professionnel, il dit que son entreprise travaille sur ce sujet et rencontre des difficultés. Et livre deux informations cruciales aux concurrents ! Où commence la confidentialité professionnelle sur un réseau social ? Si chacun doit prendre ses responsabilités, les entreprises commencent aussi à définir des procédures. Va-t-on, ensuite, devoir intégrer l’influence numérique des employés à leur évaluation ? La question est encore plus vive avec un réseau social d’entreprise (RSE).

A quels besoins répond la création d’un RSE ?
C’est un annuaire interne intelligent et plus complet que Linkedin (où les collaborateurs convergent en son absence). Un RSE est aussi source de productivité (2) car il permet aux gens d’accéder plus vite au savoir. Enfin, en tant que marque employeur, ne pas en être doté est un frein pour attirer les jeunes connectés en permanence.

Les entreprises sont-elles conscientes de l’enjeu ?
Oui, mais elles ne réalisent pas les difficultés technologiques et organisationnelles à résoudre. Les réseaux sociaux vont changer les « jeux » de pouvoir car tout le monde pourra partager l’information, dont l’abondance devient problématique.

Et sa gestion, un nouveau rôle pour le manager ?
Sa mission ne sera plus de contrôler l’information mais d’aider ses collaborateurs à avoir la bonne et seulement celle-là. Il sera ainsi chargé de la curation et de l’organisation de cette information. C’est-à-dire d’identifier, parmi les informations pertinentes, les plus importantes pour chaque membre de l’équipe, où une curation mutuelle se fera en parallèle.

L’approche collaborative est-elle être un levier de culture d’entreprise ?
Oui. Elle crée de l’engagement car les gens participent à une aventure. Et plus une entreprise développe ses communautés, plus, à titre individuel, on se sent lié à un groupe. La force de chacun dans l’entreprise, professionnelle et émotionnelle, se définit alors par ses relations avec les autres. Elle est aussi source d’innovations. Car confronter les idées donne accès à la connaissance. L’innovation, c’est d’abord des ponts qui s’établissent grâce aux réseaux sociaux, numériques ou pas.

Comment va évoluer l’encadrement moyen ?
Son rôle de mise en relation va disparaître. Le futur manager intermédiaire fera du coaching, de l’aide à l’innovation, à l’engagement, il facilitera l’intelligence relationnelle…

Le virtuel peut-il créer un lien entre les collaborateurs qui n’existe pas dans la réalité ?
La question est débattue. Le virtuel rapproche des personnes ne pouvant physiquement se voir. Il se crée alors, par des discussions concrètes virtuelles, des relations assez fortes entre elles. Mais ce n’est pas suffisant.

Cette communication facilitée ne pose-t-elle pas de façon aiguë la question de la confiance entre une entreprise et ses employés ?
Oui. Tenir des discours différents selon les cibles (interne, actionnaires, externe) n’est plus possible car les échanges entre ces milieux sont continus. La confiance se gagne par la transparence, l’ouverture et la sincérité.

Comment se positionne la France face à cette révolution ?
Elle a un retard technologique et sociologique sur la perception des réseaux numériques. Un chef de produit doit être sur Twitter pour suivre ce qui se dit sur sa marque. En France, on pense toujours que c’est chronophage. Mais c’est d’autant plus important d’être sur ces réseaux que tout va très vite : ne pas réagir à une interpellation sous 15 minutes peut être très dommageable à une marque. La communication, quand le réseau a le pouvoir, est un exercice très délicat. D’où l’importance de confier les postes de Community manager à des personnes expérimentées et non à des jeunes.

En quoi le collaborateur de la génération Y (3) diffère-il de ses prédécesseurs ?
Par sa grande liberté de ton, son style de communication direct… Cette génération respecte néanmoins les compétences des anciens, en marketing et communication notamment. L’équilibre intergénérationnel se crée…

Sont-ils plus difficiles à manager ?
Les managers doivent apprendre à gérer des personnes aux compétences supérieures aux leurs. C’est un véritable enjeu. Alors que les jeunes sont dans le détail, le manager doit avoir une vision globale. Sa crédibilité se fonde sur sa capacité à expliquer où va l’entreprise et comment, le rôle concret de chacun, si cela répond à de « bonnes » valeurs… De nouvelles émergent : éthique, intégrité, humanité, convivialité. Et si une personne, manager ou pas, n’y adhère pas, cela se sait rapidement via un circuit d’informations interne très efficace.

Des secteurs ou types d’entreprises font-ils plus naturellement le pas vers ce nouveau fonctionnement ?
C’est plus lié à la personnalité du dirigeant mais les entreprises de hautes technologies et familiales évoluent plus vite. Ceci dit, une entreprise qui n’adoptera pas cette culture collaborative avec les instruments modernes de communication et de mobilité, se créera un désavantage compétitif.

Le collaborateur « lambda » a-t-il plus sa chance de nos jours ?
Grâce aux réseaux internes, la culture collaborative permet à ceux qui ne s’exprimaient pas de le faire. Une bonne idée se fera donc plus facilement entendre. C’est d’ailleurs un nouveau défi pour l’entreprise de réaliser que des personnes plus introverties ont des idées très intéressantes à proposer.

Comment l’entreprise peut-elle exploiter la créativité déployée par les collaborateurs chez eux avec ces outils, comme les jeux en réseau ?
Le serious game est une nouvelle façon efficace de former les gens. Beaucoup s’inspirent du jeu World of WarCraft. Il faut y collaborer, chercher soi-même ses ressources, se battre contre des groupes internes et externes, développer des stratégies de survie, d’agilité qui rappellent les schémas des entreprises. C’est une piste à exploiter pour ces dernières.

Ce revirement d’organisation peut-il être une priorité en temps de crise ?
Le gain de productivité qu’il apporte est un premier argument fort. Cette façon de travailler est aussi source d’innovations (produits, services…). Mais nous ne savons pas quelles sont celles qui seront génératrices de valeur financière. De formidables opportunités sont à saisir mais une véritable réflexion stratégique est nécessaire…

 

(1)  Nouvelles technologies de l’information et de la communication

(2)  Une récente étude a montré qu’elle pouvait atteindre 25%.

(3)  Elle regroupe les personnes nées entre 1980 et 2000, avec l’avènement de l’informatique et des NTIC.

 

One Response

  1. turcq 25 octobre 2012

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