Le plaidoyer exubérant de Naomi Klein
De temps en temps nous accueillons sur notre blog des invités dont les contributions nous paraissent particulièrement pertinentes pour nos lecteurs. Cette semaine il s’agit d’un billet de Catherine Cadou et Christian Sautter, des fidèles de Boostzone Institute, sur le dernier livre de Naomi Klein que peu d’entre vous ont probablement déjà eu le loisir de lire. Cette militante nord américaine est l’une des voix les plus importantes sur la réflexion climatique et politique. Ce billet vous donnera probablement envie d’en savoir plus notamment sur les liens, raisonnés et documentés, qu’elle est conduite à regarder entre capitalisme et évolution climatique, thème particulièrement important à l’approche de COP 21. Et si vous n’avez pas le temps de lire le livre, vous pourrez au moins savoir de quoi il parle. 

 

Billet de Christian Sautter et Catherine Cadou

« Un livre de Naomi Klein est toujours un événement, parce qu’elle a un talent unique pour allier engagement militant, analyse hyper documentée et vie personnelle. L’ouvrage le plus récent de cette jeune Don Quichotte canadienne mêle ces trois dimensions à l’extrême : « This changes everything : Capitalism vs the climate » (2014, récemment traduit en français).

Sa thèse principale, mais il y en a de nombreuses autres, est que l’on ne pourra résoudre le problème dramatique du réchauffement climatique sans changer les fondements même du capitalisme. Sa méthode est de lire beaucoup, d’aller sur le terrain et de rédiger prudemment, car, s’attaquant à de fortes parties, elle entend bien éviter les procès qui pourraient ruiner sa cause et sa famille. Toutes les pages sont donc bourrées de citations bien choisies et soigneusement équilibrées. C’est de l’excellent journalisme anglo-saxon, déroulé avec rigueur. Sauf quand, au milieu de l’ouvrage, elle nous parle de la naissance difficile de son fils, dans des pages très belles qui évoquent les passions cosmiques des peuples indigènes des « Premières Nations nord-américaines ».

Sur le réchauffement climatique proprement dit, elle se place sous la protection de William James (1895) : « Notre science est une goutte, notre ignorance est un océan ». Elle pose un principe de précaution, en se référant aux multiples rapports scientifiques convergents : la Terre va se réchauffer d’au minimum 2°C d’ici 2100, probablement de bien davantage. Cela fera monter le niveau des mers de un à deux mètres et accentuera les phénomènes extrêmes de sécheresses ou de pluies torrentielles. Rien de bien neuf, mais c’est fort bien relaté, sans pathos larmoyant. Et elle démonte bien les réflexes de dénégation qui surgissent en Amérique du nord, soit parce qu’ils dissimulent des intérêts économiques bien compris (on y reviendra), soit parce que les solutions sont si bouleversantes qu’il est plus facile de nier l’existence du problème.

C’est ensuite que cela devient passionnant. Elle part de l’image de l’arche de Noé, pour dire que seule une minorité chanceuse sera sauvée de la catastrophe à venir. Autrement dit, la montée de la température due aux émissions excessives de carbone ne frappera pas également toute l’humanité mais sera la plus pénible pour les peuples et les populations les plus faibles. D’emblée, la question de la solidarité internationale est posée et Naomi Klein rassemble chapitre après chapitre les éléments d’un « plan Marshall » pour la planète. Mais, au préalable, elle met en évidence ce qu’elle appelle joliment « une fatigue de la compassion » : il est difficile de penser tout le temps aux autres, surtout s’ils sont dans un autre hémisphère !

Qui sont les coupables ? Évidemment les compagnies pétrolières et charbonnières qui ont intérêt à produire au maximum pour gagner le plus d’argent possible. Elles constituent un lobby très puissant en Amérique du nord, depuis plus d’un siècle, et elles sont dans des relations incestueuses avec le pouvoir politique comme l’est le complexe militaro-industriel que dénonçait déjà le président Eisenhower et qui a entrainé le président Bush junior dans de terribles aventures au Moyen-Orient, ou encore l’industrie financière qui a convaincu le même Bush de la sauver in extremis de la déroute de 2008. La dernière prouesse technologique de ces « industries fossiles » a été d’extraire des plaines canadiennes et états-uniennes des quantités incroyables de pétrole et de gaz de schiste qui permettent à l’Amérique du Nord de rivaliser avec la production de l’Arabie saoudite et celle de la Russie. Tout cela pour un coût écologique exorbitant.

Mais les coupables sont aussi les consommateurs, c’est-à-dire nous-mêmes, dit Naomi Klein : l’étalement des villes, la passion des automobiles, la voracité d’un mode de vie fondé sur l’énergie gaspillée ne sont pas viables à terme. Le modèle américain de l’« affluent society », diffusé à longueur de publicités et de feuilletons télévisés en direction des classes moyennes émergentes du monde entier, n’est pas compatible avec les ressources que l’on peut encore extraire de la nature.

Alors que faire ? D’abord nous méfier de « la pensée magique », dit-elle. Le capitalisme pourrait se réformer et muer en « capitalisme vert » ? C’est ce que plaident de nombreuses ONG qui ont pignon sur rue aux Etats-Unis et dont Naomi Klein démontre avec malice et force références que nombre d’entre elles sont purement et simplement financées, en partie, par « Les rois du Fossile ». Big Green et Big Business sont sur un même bateau ! L’auteure nous explique que l’on peut, certes, gagner de l’argent (et de l’image) en économisant l’énergie ou en développant des énergies renouvelables, mais cela relève de la tactique plus que de la stratégie. Une variante de cette pensée magique qui ferait jaillir un bon génie de la lampe d’Aladin : l’engagement de grands philanthropes dans la lutte contre le réchauffement climatique. Elle écrit des pages distrayantes sur William Branson, le créateur de Virgin, qui a mobilisé trois milliards de dollars pour soutenir l’innovation sobre, mais qui, en même temps, est prêt à emmener (et ramener !) des touristes fortunés dans l’espace au prix d’une orgie d’énergie.

Sur les solutions technologiques, qui consisteraient par exemple à stocker l’énergie électrique tirée du soleil ou du vent, ou à enfouir le carbone au fond des anciennes mines, elle écrit peu et les classe probablement dans les illusions de la pensée magique.

Venons-en aux solutions qu’elle place à deux niveaux, global et local. Le niveau global, positif à Kyoto (1997) et négatif à Copenhague (2009), réunira les leaders du monde à Paris fin 2015 pour la prochaine conférence sur le climat (COP 21). Naomi Klein ne croit pas trop aux engagements solennels des leaders américains, asiatiques ou européens de réduction des émissions de carbone à échéances lointaines, 2050 ou 2100. Soit ces promesses seraient insuffisantes pour ralentir la hausse de la température mondiale, soit elles ne seraient pas tenues.

Son schéma, très simple dans son principe, consiste à taxer le carbone à l’échelle mondiale, de façon forte et progressive, en frappant davantage ceux qui polluent le plus et qui ont le plus de moyens de payer. Et de répartir ensuite les produits de cette taxe pour aider les plus pauvres à surmonter le défi énergétique. C’est cela son « plan Marshall », qui doit mobiliser des sommes considérables (comme en 1948 !).

Au niveau local, elle est en admiration devant le système allemand de production décentralisée d’énergies renouvelables. Pour Naomi Klein, produire sa propre énergie solaire ou éolienne grâce à des coopératives de production et de consommation est le système idéal pour aller vers une économie circulaire (on recycle plutôt qu’on ne gaspille), vers une société plus égalitaire et une vie plus démocratique. Elle dénonce avec fougue la collusion entre le centralisme politique (qu’il soit républicain ou despotique) et la concentration du pouvoir économique détenu par les états-majors de très grandes firmes.

À notre modeste échelle française, voire européenne, nous pouvons tirer trois conclusions de ce crépitant plaidoyer d’outre-Atlantique.

Le premier message est que le monde change très vite autour de nous et qu’il y a le feu à la maison, comme disait Jacques Chirac à un de ces nombreux sommets mondiaux sur le climat qui ont accouché de belles paroles et de maigres résultats. Le monde dans lequel vivront nos petits-enfants mérite plus de considération que les mannequins anorexiques et les mille autres sujets futiles qui passionnent les parlementaires et les médias français.

Le deuxième message est que nous, citoyens du monde, devons nous engager pour pousser nos dirigeants à trouver des solutions globales à des problèmes globaux. Taxer fortement le carbone n’est pas de « l’écologie punitive », comme le serine notre Ministre de l’Environnement, mais le moyen le plus efficace pour faire évoluer les comportements des consommateurs et des entreprises et pour donner à ceux qui sont démunis les moyens financiers à la fois d’accéder à l’énergie et de l’économiser le plus possible. Taxer lourdement le kérosène des avions et le fioul des porte-conteneurs serait un premier pas vers une économie moins frénétique d’échanges mondiaux parfois aberrants.

Le troisième message est que nous ne devons pas nous en remettre entièrement aux « politiques », quitte à les critiquer ensuite pour leurs indécisions et leurs soumissions à de puissants intérêts économiques et financiers. Chaque citoyen peut, dans son bassin de vie et d’emploi, rechercher avec ses voisins comment mener une vie plus sobre et plus solidaire, ce qui ne veut pas dire plus malheureuse.

Mobiliser plus le travail et moins l’énergie ! Coopérer plus sur l’essentiel et consommer moins de superflu !

Je crois que nous pouvons encore réguler le capitalisme, sans pour autant l’anéantir comme en rêve Naomi Klein. »

 

Catherine Cadou, Christian Sautter, mai 2014

One Response

  1. Pierre Bouteille 23 mai 2015

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