Les technologies doivent être régulées
Ralph Nader

Cette chronique a été publiée en premier sur Xerfi Canal

https://www.xerficanal.com/strategie-management/emission/Dominique-Turcq-Les-technologies-aussi-vont-devoir-etre-regulees_3750213.html

Jusqu’en 1964 on pensait que les conducteurs étaient responsables des accidents d’automobile. Puis Ralph Nader, un avocat activiste, est monté au créneau contre les constructeurs d’automobiles et a montré que la technologie avait aussi une part importante de responsabilité, car les normes de sécurité des voitures étaient très insuffisantes. Depuis, grâce à ses efforts et à bien d’autres qui ont suivi, il y a moins d’accidents et moins de morts sur les routes. L’analogie s’applique à toutes les technologies jusque et y compris aux réseaux sociaux et à leurs algorithmes, aux monnaies cryptées, à la biologie, au Metaverse, aux neurosciences, à l’ordinateur quantique, à la reconnaissance faciale, etc.

Comme le souligne le dilemme de Collingridge : il est difficile de prédire les conséquences sociales d’une technologie, et lorsque ses effets, notamment négatifs, finissent par apparaître, il y a de grandes chances pour que la technologie en question soit devenue incontournable et qu’il paraisse être trop tard pour la réguler.

Pourtant, il est possible d’agir à tout moment et chacun doit se demander ce qu’il peut advenir d’une technologie. Les questions qui se posent sont d’ordre technique (comment comprendre les impacts directs d’une technologie ?), d’ordre sociologique voire anthropologique (comment comprendre les impacts indirects sur la société et l’homme ?), d’ordre économique (quand une filière s’établit-elle, quand d’autres sont-elles détruites ?), d’ordre politique (quand faut-il un lanceur d’alerte ?), d’ordre éthique (quand la ligne rouge est-elle franchie ?).

Les États, l’OCDE, l’UNESCO, la Commission européenne et des organisations professionnelles sont parmi les premiers à se poser les questions et à essayer de réguler les technologies qui se développent. On le voit en particulier avec les commissions d’éthique, les règles et normes créées pour la biologie, la protection des données personnelles, l’Intelligence Artificielle, les réseaux sociaux ou les cryptomonnaies. Ces régulations peuvent paraître limitatives, notamment aux chercheurs et aux start-up, mais on voit mal comment des États, en charge de la sécurité et de la vision à long terme pour les citoyens, pourraient faire autrement. Dans certains pays, comme la Chine, cela va beaucoup plus loin comme on le voit actuellement avec les nouvelles règles s’imposant aux géants du digital chinois.

Dans tous les cas, il faudra réguler… alors, en stratégie, mieux vaut mieux prévoir en une sorte de « prospective de gouvernance technologique ». Cela demande de la part des entreprises, aussi bien au niveau des instances opérationnelles que des instances de gouvernance et de surveillance, une vraie vision prospective. Celle-ci doit consister à envisager en quoi et comment une technologie pourrait avoir à être régulée, et si ces règles peuvent être nationales ou internationales, voire mondiales.

Dans le contexte socio-économique actuel cela impose de se poser quelques questions simples à formuler (mais complexe à résoudre) :
1. À partir de quand une technologie, du fait de son principe même (son effet technique, comme la manipulation génétique) ou du fait de sa diffusion dans la société (son effet de masse comme ce qui se passe avec les réseaux sociaux), sera-t-elle susceptible de présenter un danger RSE (social ou environnemental, voire politique) ?
2. En ce cas, une régulation pourrait-elle être une opportunité ou une menace pour la pérennité d’une entreprise ? Faut-il apprendre à mieux communiquer sur les risques de la technologie pour éviter que le régulateur ne fasse des choix néfastes à son développement ? Comment prévoir des clauses de revoyure pour modifier les règlements éventuels ? S’il faut faire du lobbying, jusqu’où peut-il aller sans mettre en danger à terme la réputation d’une entreprise ou d’une industrie ?
3. Une régulation risque-t-elle d’être différente selon les pays, cela sera-t-il un avantage compétitif ou un désavantage selon le pays principal d’où l’entreprise rayonne ou selon les marchés sur lesquels elle opère ?

Il faut prévoir dès aujourd’hui les réglementations à venir, qui seront initiées par suite des mouvements des Ralph Nader de demain, en particulier les ONG et les organismes activistes les plus dynamiques.

La prospective de la régulation technologique fait désormais partie de la réflexion prospective et de la réflexion stratégique.

Leave a Reply