« Le café n’est pas bon aujourd’hui dans cette machine », « Je crois qu’il va pleuvoir » « Vous me suivez ?» et autres locutions inutiles sont pourtant essentielles à notre équilibre dans l’entreprise. C’est l’un des rôles nouveaux du manager que de savoir les maintenir alors que nous nous digitalisons de plus en plus.

 

La disparition des conversations inutiles est programmée

Les gains de productivité considérables et recherchés en continu, les attentes de résultats, les horaires chargés, le déluge de mails et autres communications digitalisées sur nos horaires et nos occupations, les échanges professionnels purement fonctionnels, sont autant de causes à notre infobésité et à notre manque chronique de temps même pour aller à la machine à café. Ils diminuent aussi notre attention aux autres puisque nous sommes absorbés par nos écrans comme dans une bulle qui fait de nous des zombies jusque dans la rue. Ils sont enfin et surtout la cause de la disparition de ces moments de vie que sont les échanges simplement humains, sans raison d’être sauf que d’exprimer à l’autre qu’on a vu qu’il était là et qu’on ne faisait pas comme s’il n’existait pas. Mieux, qu’on le respecte et qu’on lui parle comme à un être humain, fût-il collègue ou simple inconnu dans l’ascenseur. La digitalisation effrénée des rapports humains n’est pas neutre, elle nous isole au moins autant qu’elle nous connecte.

Les réseaux sociaux permettent de ré-humaniser en partie notre sur-digitalisation

La conversation phatique a été réintroduite dans la communication sur les réseaux sociaux et autres expressions écrites digitales. Ce n’est pas suffisant mais ce n’est pas négligeable. La version la plus courte de l’expression phatique est l’émoticon, petit objet textuel transportant avec lui sa charge d’émotion cherchant à compenser ce qui pourrait passer pour un message trop sec ou trop autoritaire. Plus sophistiqués sont le dessin, le lien vers une vidéo censée délasser et faire sourire. De fait une très grande partie, peut être 80%, des conversations sur les réseaux sociaux externes sont phatiques, il n’y a qu’à regarder Facebook ou Twitter. Sont-elles inutiles pour autant ? Certainement pas, elles permettent de maintenir des liens, souvent ténus certes, mais que l’on peut solidifier si on le désire et surtout qui ont le mérite d’être maintenus en continu. Mieux elles « qualifient » celui qui les émet au rang d’humain (le test de Turing ne sera peut être vraiment probant que quand la machine saura à bon escient devenir phatique).
Certes, on peut imaginer que les réseaux sociaux d’entreprise devraient échapper à cette règle puisqu’ils sont censés être professionnels, donc « sérieux » ; les conversations se devraient d’y être utiles, avec un objet, un contenu, un message nécessairement pertinent. Mais est-ce bien vrai ? S’il n’est pas imaginable que les conversations y soient à 80% phatiques cela doit-il être 0 % ? Les billets sur les forums et réseaux internes doivent-ils être nécessairement secs comme des demandes d’information du fisc ? Si vous en faites une règle, ne vous étonnez pas que vos forums soient aussi vides qu’une plage de la mer du Nord sous la pluie en hiver.

La curation a besoin de l’inutile

L’échange d’information est au cœur de nos échanges transversaux. C’est peut-être (là) la révolution principale du digital : permettre à chacun d’accéder à des informations pertinentes et d’en diffuser sans avoir à parcourir tout Internet ou toute la bibliothèque du Vatican. Mais la curation est une action froide si elle manque à la fois de commentaire (si je transmets une information, un lien, il faut que je dise pourquoi je la considère comme importante pour mes suiveurs ou collaborateurs) et de contenus phatiques qui peuvent être un trait d’humour, un émoticon, un « private joke » en clin d’œil. Nous savons tous qu’une information transmise avec un contenu phatique sera mieux reçue et mieux utilisée.

Le rôle du manager est (aussi) de savoir re-mettre de l’humain

Les conversations phatiques, même en digital, sont des moments de hi-touch, de rapport humain, justement parce qu’elles sont inutiles, non fonctionnelles. Un mot d’humour, voire une histoire drôle, sont autant de moments volés à la productivité et la digitalisation et rendus à notre humanité. Trop serait nuisible mais pas assez l’est tout autant. Le rôle du manager évolue (actuellement) considérablement avec l’arrivée du digital dans les systèmes d’information, d’expertise, de décision. À tel point qu’il se sent parfois démuni de ce qui constituait une partie importante de son métier de manager. Il ne doit pas oublier que son rôle est aussi de mettre de l’humain dans ses équipes. Permettre et encourager une bonne utilisation des éléments phatiques va devenir un savoir- faire reconnu et indispensable à tout manager « augmenté ».

 Il est fait mention de ce billet dans Le Monde du 15 septembre (article de Annie Kahn / rubrique économie): http://www.lemonde.fr/acces-restreint/economie/article/2014/09/15/6d696a9d676b70c5986c63676496_4487468_3234.html

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