L’éthique n’est pas un monde noir et blanc, la plupart des décisions sont des compromis. Mais parfois des compromis deviennent des compromissions inacceptables. Une vigilance s’impose

Il est fréquent d’être aveugle

Des participants à des décisions non éthiques n’ont souvent pris conscience que plus tard que des décisions étaient contraires à leur propre éthique ou à celle de la société. Un cadre en retraite d’une grande entreprise d’agrochimie me confiait : « Je n’ai réalisé que dix ans plus tard que « défendre le produit » (un produit chimique toxique) était contraire à l’éthique ». Le cas de la Ford Pinto, dangereuse voiture mais qui ne fut pas modifiée car cela aurait présenté des coûts élevés, a conduit un cadre à avouer plus tard : « Pourquoi n’ai-je pas vu la gravité du problème et ses connotations éthiques ? ».

Cet aveuglement dépasse l’entreprise. Un étudiant ayant participé à l’expérience de la prison à l’université de Stanford déclara plus tard : « Pendant que je le faisais, je n’ai ressenti aucun regret, aucune culpabilité. Ce n’est qu’après, quand j’ai commencé à réfléchir à ce que j’avais fait, que ce comportement m’est apparu comme totalement inadéquat ». Un ancien policier allemand ayant participé aux génocides en Pologne dans les années 40 déclarera plus tard : « Ce n’est que des années plus tard… qu’il m’est venu à l’esprit que [cela] n’avait pas été juste ».

Des points de vigilance existent

Le mal ordinaire d’Hanna Arendt est toujours aux aguets, mais des signes avant-coureurs permettent de voir qu’un comportement pourrait déraper même s’il est le plus souvent inconscient. Voyons les principaux.

L’urgence, face à la concurrence par exemple, peut conduire à passer outre des procédures de sécurité. Ce fut le cas pour la Ford Pinto (la concurrence japonaise sur les petites voitures était mordante) ou pour le Boeing 737 Max (Airbus lançait son modèle avant Boeing).

Le biais du groupthink, la loyauté à l’entreprise, la peur de sanctions, une autorité trop autoritaire, voire les neurones miroirs, bref tous les cas où personne n’ose s’élever contre une décision, sont d’autres sources potentielles d’aveuglement. 

L’excitation par rapport au potentiel d’une technologie peut aussi conduire à en sous-estimer les dangers. On le voit avec l’IA.

La profitabilité d’un produit peut sembler plus importante que le danger qu’il présenterait et donc que les risques associés à ce danger. Ce fut là aussi le cas de la Ford Pinto ou des industriels du tabac, même si, dans certains cas comme ces derniers l’aveuglement éthique peut être plutôt une forme de déni, un autre enjeu psychologique, plus conscient mais tout aussi difficile à comprendre et à tolérer. 

Il y a enfin des causes plus profondes et parfois plus indétectables encore comme l’idéologie d’une organisation trop centrée sur le profit.

Nous pouvons tous tomber dans des moments d’aveuglement éthique. Le rôle du collectif, dans l’entreprise ou dans la société, est alors crucial car il peut nous aider à prendre conscience que notre comportement est une compromission.

Un rôle pour les RH

L’aveuglement éthique présente des dangers quant aux victimes, bien sûr, mais aussi des dangers stratégiques qui peuvent ruiner l’image d’une entreprise et, c’est moins immédiat et visible mais profond, l’estime de soi des hommes qui y succombent, même si la prise de conscience n’apparait que plus tard. Les RH sont dans ce domaine un agent particulier de vigilance qui ne doit pas s’ignorer.

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