Après une décennie où le mot « digital » a été le plus souvent associé à « outil S.I. » et « suppression de coûts de transaction », le laboratoire organisé par Boostzone le 23 mai dernier, réunissant 25 dirigeants d’entreprises appartenant à différentes fonctions de direction générale, a fait apparaître une préoccupation jusque-là presque occultée par les entreprises : et si, finalement, le digital était avant tout un sujet de relations humaines ? En concevant une stratégie digitale, l’entreprise ne devrait-elle pas placer d’abord l’individu au centre de ses préoccupations, dans toute sa complexité et sa singularité ?
Dans une société en quête de sens, déployer une stratégie digitale dans une entreprise ne peut réussir que si les parties prenantes (collaborateurs, clients, fournisseurs, …) y trouvent un sens et une valeur ajoutée incontestable, que ce soit en termes d’efficacité, de rapidité des transactions, d’ergonomie, de pertinence par rapport aux enjeux. Sinon cette digitalisation ne sera que plaquée et ne produira pas les effets escomptés : on ne fournit pas un effort de changement si on n’y trouve pas un intérêt tangible… De fait, une stratégie digitale replace nécessairement l’individu (ses besoins, ses aspirations, ses usages, ses sentiments…) au centre de la réflexion.
A titre d’exemple, quel fournisseur ne s’est pas déjà arraché les cheveux en devant facturer via une plateforme d’achats kafkaïenne nécessitant au minimum 6 étapes de validation avant de pouvoir faire quoi que ce soit, tout en devant quand même envoyer les documents en double en version papier par courrier, sur demande du client, au cas où… Temps de transaction multiplié par trois par rapport au bon vieux système, mais fierté de la Direction Achats qui croit avoir « digitalisé » son process… ! Où est le sens ? Où est le gain pour l’individu et pour le collectif ?
En fait on a pensé outil, pas utilisateur, et ce type de démarche, appliqué également de façon fréquente aux relations clients (notamment au niveau du SAV) et aux interactions internes en entreprise, finira par dégrader la position concurrentielle de celle-ci car l’humain n’aura pas été placé au centre des préoccupations technologiques.
Autre exemple : en termes de management collaboratif et de réseaux sociaux d’entreprises, il y a eu la folie des outils : on achetait un outil dont le Comex était très fier, puis on se demandait pourquoi si peu d’employés l’utilisait… Chez Boostzone nous tirions la sonnette d’alarme dès le début : aucun RSE ne fonctionne si le collaborateur n’y voit pas de valeur ajoutée dans son travail et s’il n’y a pas eu au moins un kick-off en présentiel. Là encore le digital ne marche que si l’individu et la relation humaine sont au centre de la démarche… Le digital, souvent considéré comme « lo touch », est en réalité éminemment « hi touch » …
Une entreprise digitalisée est donc une entreprise où l’individu est au centre et où les deux mondes, technologique et humain, sont cohérents entre eux. Sa force est « d’augmenter » les parties prenantes en permettant davantage de services, d’informations pertinentes, d’efficacité, d’ergonomie des actions, mais tout ceci ne fonctionne que si l’écosystème ainsi créé permet aux individus d’y trouver un sens, individuellement et collectivement.
Dans un tel contexte, les « soft skills » sont plus que jamais des savoir-faire essentiels pour l’entreprise :
- La compétence sociale, la relation humaine, constituent un complément indispensable de tout process digitalisé ;
- Derrière l’algorithme, il y a celui qui le conçoit : des process Machine Learning permettant le Marketing 2 one, le HR 2 One, le Supply Chain 2 One, sont inefficients si le programme à la base de l’outil a été conçu sans une connaissance approfondie, fine, subtile, de l’individu que l’on souhaite augmenter. Un Chatbot de recrutement est inefficace sans le savoir-faire d’un recruteur, un robot qui produit des poèmes produit de la médiocrité si le programmateur n’est pas lui-même un peu poète, etc. Plus que jamais, l’empathie, la connaissance fine de l’individu, l’humain, se trouvent au centre des révolutions technologiques ;
- Le digital permet de rationaliser et de démultiplier les analyses, mais la part d’émotionnel, de politique, d’intuitif, inhérente à quantité de décisions stratégiques et à de nombreuses innovations radicales, ce soft skill, devient plus que jamais fondamental pour assurer la cohésion entre l’outil technologique et l’action de l’entreprise.
Le grand défi, aujourd’hui, est que ces deux mondes, digital et humain, évoluent en parallèle sans qu’il y ait toujours de synergie entre eux. Or, le comportement humain dans un environnement digital doit nécessairement évoluer, et réciproquement les avancées technologiques finiront par plafonner, si leur capacité à transformer favorablement le quotidien de l’individu trouvent leurs limites.
Ce changement nécessaire est certainement en partie une question de formation des individus, mais pas seulement: le problème se trouve aussi au niveau de la stratégie, de la gouvernance, des instances, … :
- On digitalise les process, mais le Comex continue d’évoluer en mode old economy ;
- On digitalise les interactions en entreprise, mais le dialogue social fonctionne encore avec les usages d’un autre siècle ;
- On ne jure que par l’agilité que les technologies apportent, mais les process de décision restent solidement ancrés dans les usines à gaz de l’ancien monde ;
- On multiplie les initiatives technologiques, mais on oublie de changer le mindset des individus. Quant au client, qui devrait être au centre des préoccupations, on l’a oublié …
Au final, l’entreprise digitalisée se trouve face à un challenge considérable : pénétrer le mystère de l’être humain, comprendre ce que nous sommes, qui nous sommes, comment nous agissons, pourquoi nous agissons, etc. Les neurosciences permettront sans nul doute de progresser dans ce domaine, mais le chantier reste immense.
Vous pensiez « outil » ? ….