Les compétences techniques ou professionnelles d’un individu en transition professionnelle sont certes la partie principale d’un recrutement mais, soyons honnêtes, des personnes ayant des profils « adéquats » sont souvent légions. Des compétences nouvelles, adaptées à l’environnement de notre économie et de notre société deviennent essentielles.
Dans le Management Augmenté[1] j’ai décrit comment le management, et donc dirigeants et managers, doivent, face aux changements de notre société – qu’ils fussent technologiques, sociologiques, économiques ou culturels – s’ « augmenter » d’un certain nombre de savoir-faire. Ces derniers, à l’antipode d’une augmentation technologique déjà trop envahissante à travers leurs smartphones, leurs réseaux sociaux etc., consistent plutôt en une combinaison de savoir-faire liés au concret et à l’humain. Quelques exemples illustratifs : stratégiques (l’aptitude à mieux prévoir à 360°), organisationnels (comprendre les liens horizontaux dans l’entreprise), sociaux (comprendre la logique du collaboratif), humains (définir quand être en hi-touch ou non dans sa relation aux autres), techniques de communication (savoir écrire un tweet !), personnels (savoir être « zen »), et bien d’autres.
Avec l’évolution rapide des technologies et notamment l’explosion de deux avatars du digital, le Big Data et l’Intelligence Artificielle (IA), ainsi qu’avec l’émergence en cours des neurosciences dans le management, ces savoir-faire sont devenus encore plus essentiels ainsi que quelques autres en cours d’apparition. Regardons en quatre.
Le réseau, la note et l’influence
La généralisation d’un monde collaboratif amène avec elle deux exigences : avoir un bon réseau, avoir une bonne note. Cette « tripadvisorisation » de la société, en forte croissance, s’accompagne d’une contradiction. Il faut d’une part avoir un « bon » réseau, pour être visible, pour garder à jour ses compétences, pour accéder à celles des autres, pour être considéré comme un « influenceur ». Celui qui n’a pas de réseau ou un réseau à l’ancienne (en n’étant pas sur Linkedin par exemple) se trouve non seulement peu visible mais devient même « louche ». D’autre part, plus une présence sur les réseaux est étendue, plus certains des liens sont faibles et plus le risque d’une note sociale qui pourrait devenir nuisible à son image est grand.
La nature du réseau est aussi importante que son ampleur. Il est facile aujourd’hui pour un recruteur de savoir si le candidat en face de lui est un clone (empreinte digitale 100 % conforme au profil recherché : un comptable n’a que des amis comptables…), un « fake » (empreinte aberrante, un comptable n’a aucun ami et aucune activité sur des groupes de comptabilité) ou n’importe où entre les deux. On peut « mesurer » à travers le réseau des éléments comme l’originalité, la sociabilité, la curiosité, l’ouverture d’esprit, la pertinence des compétences, leur reconnaissance ou non par les pairs, etc.
Travailler avec l’IA
L’IA, qui n’est encore la plupart du temps qu’un ensemble d’aides à la décision basées sur des algorithmes de traitement de données massives, demande des compétences nouvelles. Il est désormais essentiel de comprendre précisément ce qu’est une donnée, d’identifier quels algorithmes apporteront le plus de valeur à son traitement, de savoir comment l’utiliser, aujourd’hui ou demain, pour améliorer des décisions. Le candidat augmenté face aux perspectives de l’AI doit avoir une vision claire de ce en quoi cet outil nouveau va l’assister demain, lui et ses équipes.
Neurosciences et management, la conscience des biais décisionnels, l’apprentissage.
Les neurosciences commencent tout juste à pénétrer le monde du management. Mais elles y arrivent à grands pas. Est-il possible de recruter aujourd’hui un dirigeant qui n’aurait pas une conscience, si ce n’est précise du moins alerte, de ses biais décisionnels, de l’évolution de l’apprentissage grâce à cette science de notre cerveau, etc. ? Un candidat, à quelque poste que ce soit, ne peut se permettre de négliger l’impact à venir des neurosciences sur sa fonction, ses équipes, son leadership.
Apprendre à désapprendre
Ces compétences, encore rares il faut le reconnaître, même si les jeunes générations semblent s’y préparer plus assidument, soulèvent le besoin d’un autre savoir-faire. Le candidat, une fois recruté, saura-t-il développer en continu ces savoir-faire ? Saura-t-il désapprendre et réapprendre, se remettre en cause, abandonner des postures et des savoirs pour les remplacer par d’autres ? Ne pas prouver que l’on sait désapprendre c’est admettre qu’on résiste à sa propre obsolescence.
Quand on observe les progrès que fait l’IA quant à l’analyse des profils, des parcours, des visibilités, des traits de caractères des individus, de leur progression en compétences ou en influence, on peut raisonnablement penser que ces quelques exemples de savoir-faire seront bientôt bien mieux quantifiés et que, comme on gère aujourd’hui des pages web pour améliorer leur référencement, chacun devra gérer aussi au mieux ses traces digitales pour augmenter ses chances non seulement d’être trouvé, accepté mais surtout attendu avec impatience.
(Article à paraître dans la revue des anciens de l’ESSEC)
[1] Le Management Augmenté, disponible en édition digitale en français et en anglais dans toutes les librairies numériques, disponible en papier en anglais seulement sur le site de Boostzone.fr