Jeunes et rapport au travail : des préjugés qui ont la vie dure

Notre collègue Jean Pierre Bouchez a publié l’article suivant dans la HBR

Des études récentes démontrent que les jeunes actifs d’aujourd’hui ne sont pas plus désengagés ou individualistes que leurs ainés. Ils sont tout aussi investis dans leur travail et ont les mêmes aspirations.

Il est intéressant d’observer qu’un certain nombre d’ouvrages managériaux et de médias tendent à diffuser des images et des représentations contrastées des jeunes de moins de trente ans au regard du travail.

La vision offensive la plus fréquente les associe à un nouveau modèle référent, exaltant, porteur d’espoir de transformation, distinct à ce titre de celui de leurs ainés générationnels. Une seule citation illustrative relevée parmi de nombreuses autres est ainsi formulée : « Les Z vont contribuer à une refondation du monde du travail [pas moins que cela ! …], à l’aune de leurs valeurs ». Une autre version plus sombre, mais non moins tenace, tend à les représenter négativement comme individualistes, désengagés ou matérialistes. Ils n’accorderaient pas une place aussi importante et centrale que leurs ainés vis à vis travail et considéraient celui- ci comme seulement utilitaire et instrumental et seraient en partie réfractaire à la relation hiérarchique d’autorité dans l’entreprise. Plus surprenant, comme nous l’évoquerons ci-après, une large majorité de ces mêmes jeunes confirment, (comme d’ailleurs leurs ainés au travail), ces types de représentations sombres, comme s’ils les avaient intériorisées…

Pour autant cette représentation, souvent fondée sur des preuves et des informations insuffisantes et s’inscrivant dans une forme de mainstream ambiant, doit être abordée avec prudence, voir avec circonspection. Des recherches antérieures ont déjà mis en garde contre ce type de préjugé stéréotypé. François Pichault et Mathieu Pleyers, professeurs de gestion des ressources humaines et de management à HEC Liège et à l’université libre de Bruxelles relèvent que leurs résultats « tendent à montrer que les particularités supposées de cette génération [Y] sont minces, tout du moins en ce qui concerne les attitudes et les valeurs de ses membres au travail. En revanche, ils nous rappellent que les fondamentaux de la GRH restent des préoccupations partagées par l’ensemble des générations » (« Pour en finir avec la génération Y… enquête sur une représentation managériale », de François Pichault et Mathieu Pleyers, Editions EDP Sciences 2012).

De même, une méta analyse de cette même année 20121 , effectuant une synthèse d’une vingtaine d’études et de recherches centrées sur les différences au travail en recouvrant quatre générations et de l’ordre de 20 000 personnes, conclue que « les résultats suggèrent qu’il n’existe probablement pas de différences significatives entre les générations pour les variables que nous avons examinées » (« Generational Differences in Work-Related Attitudes: A Meta-analysis », de David. P. Constanza, Jessica M. Badger, Rebecca L. Fraser, Jamie B. Severt et Paul A. Gade, Journal of Business and Psychology, 2012).

Le contexte général a pourtant assez singulièrement évolué dans la période récente : la pandémie et ses effets différenciés en matière de pratiques de travail hybride, les conflits en Europe et au Moyen-Orient, l’accélération des impacts et des effets de la crise climatique mondiale, etc.

1 Constanza D. P., Badger J. M., Fraser L. R., Severt J. B. Gade P. A. (2012), « Generational Differences in Work-Related Attitudes: A Meta-analysis », Journal of Business and Psychology, V. 27, n° 4, pp. 375-394.

Dans ce contexte général, l’ouvrage richement documenté de Suzy Canivenc, chercheuse en innovation organisationnelle et managériale, et l’enquête approfondie menée par l’association Terra Nova et l’Apec, contribuent à la fois à éclairer et nuancer les représentations souvent stéréotypées et les préjugés persistants concernant le rapport au travail de cette catégorie de jeunes.

Du côté du rapport au travail.

Suzy Canivenc relève d’emblée que l’idée selon laquelle les moins de trente ans entretiendraient un rapport eu travail significativement différent de celui de leurs ainés, est « largement battu en brèche par une immense majorité des travaux de recherche sociologique ». Elle souligne alors, de manière largement documentée et sourcée, la nécessité de reconsidérer singulièrement quelques attributs négatifs et stéréotypes qui leurs sont encore associés

Ainsi les jeunes ne seraient pas plus désengagés et désinvestis au travail que les autres générations, ni nécessairement plus individualistes, voire « égotiques » au regard du dévelop-pement des réseaux sociaux souvent associés à la culture du soi, de nombreuses enquêtes soulignant leur envie de travailler en équipe et leurs revendications en termes d’inclusion.

Par ailleurs, ces digital natives ne seraient en réalité pas différents de leurs ainés s’agissant de leur niveau de familiarité entretenue avec le numérique. Ainsi, la manière dont ils l’utilisent est en réalité très hétérogène, tout autant que celle des autres générations.

De même, sur les sujets particulièrement sensibles et légitimes du climat, de l’égalité de genre ou de l’antiracisme, vis à vis de l’emploi, Suzy Canivenc constate « qu’au-delà de l’écume, la réalité est plus nuancée » et de relever l’absence de preuves irréfutables d’une différence marquée et significative sur ces différents aspects entre les jeunes et les autres générations.

Enfin, la fameuse « quête de sens » largement mobilisée pour caractériser les attentes des jeunes au travail, n’est pas associée, selon plusieurs sondages cités, à la seule jeunesse, ni à un niveau diplôme ou à une quelconque catégorie socioprofessionnelle. En réalité, cette quête de sens souligne à juste titre l’autrice, est singulièrement liée aux conditions et à l’organisation du travail, s’agissant notamment du poids des procédures qui tendent à limiter ou restreindre les désirs d’autonomisation et de responsabilisation de personnes ou de collectifs.

Concluant cette présentation, au-delà du concept flou de génération, Suzy Canivenc peut légitimement souligner que la catégorie des « jeunes » constitue un groupe loin d’être homogène au niveau de multiples facteurs au regard du travail (niveau de diplôme, secteur d’activité, contexte organisationnel de l’entreprise, lieu de résidence, autres facteurs subjectifs, etc.). Ce qui tendrait à expliquer l’ambivalence des traits de caractère qui leur sont attribués. En réalité, au-delà de ces représentations et préjugés particulièrement tenaces, l’auteure relève qu’au- delà des « effets générationnels », il existerait des « effets d’âges », commun à toutes les générations, et des « effets d’époque » affectant à des degrés divers l’ensemble de la population active, mais « dont la jeunesse serait à l’avant-garde ».

Dans cette dernière perspective, quelques caractéristiques plus saillantes, spécifiques aux jeunes sont cependant relevées : plus connectés (en termes de possession d’un smartphone) et plus diplômés (notamment au regard de la proportion de bacheliers).Par ailleurs, des témoignages rapportés soulignent la capacité des jeunes à exprimer plus vigoureusement et plus librement que leurs ainés leurs insatisfactions professionnelles. Enfin, la pratique du slashing (consistant à exercer plusieurs métiers en même temps), leur semble attractive.

Les attentes des jeunes actifs vis-à-vis du travail sont donc en définitive pour l’essentiel similaires à celles de leurs ainés : respect/confiance, soutien/ reconnaissance, autonomie/participation, cela avec toutefois plus de vigueur et d’intensité, contraignant ou incitant ainsi les firmes à prendre des initiatives prometteuses.

Du coté des entreprises.

La seconde partie de l’ouvrage se centre précisément sur ces initiatives déjà mises en œuvre, ou à déployer au regard de ces nouveaux rapports au travail des salariés, qu’ils soient d’ailleurs jeunes ou moins jeunes. Cela dans une perspective prometteuse tendant à considérer que la « valeur » d’une entreprise tend à ne plus se limiter aux seuls critères financiers, mais plus largement à des critères sociaux, sociétaux, environnementaux et de gouvernance, lesquels devant faire l’objet d’évaluations rigoureuses.

C’est sur ces leviers d’actions potentiels à fort enjeux que se concentre à juste titre l’autrice. Leur mobilisation reposant sur la volonté et la capacité effective des dirigeants et des managers de les incarner réellement tant dans la stratégie de l’entreprise, que dans l’exercice des pratiques professionnelles, des métiers et des équipes (mais aussi à l’égard de toutes les parties prenantes). Cela devant se traduire par des preuves concrètes, légitimes, crédibles, tangibles et durables des engagements pris, de sorte que chaque salarié puisse en ressentir concrètement les effets dans son travail. Ce qui est encore loin d’être le cas comme le soulignent des enquêtes récentes…

Ainsi, s’agissant de la RSE, évoquée dès les années 1990, force est de reconnaitre qu’elle apparait plutôt encore relever d’une profession de foi, voire d’une vitrine. Ainsi, parmi ceux qui ont entendu parler de RSE, 51% estiment que ces démarches ne sont pas sincères.

La loi PACTE adoptée en 2019 se situe pour sa part dans un prolongement de plus en plus impliquant de la RSE, en permettant aux entreprises volontaires de faire figurer une « Raison d’être » dans leur statut, à laquelle peut s’adjoindre une « mission », sous la forme d’objectifs sociaux et environnementaux précis. Si la Raison d’être a généré d’emblée un effet de commu-nication, à quelques exceptions près (dont la MACIF), nombre d’entre elles apparaissent comme des « slogans creux et interchangeables (…) qui ont poussé comme 100 fleurs sans que soit apportée la moindre preuve qu’elles influencent d’une quelconque manière la vie quotidi-enne des organisations »relève Suzy Canivenc. D’ailleurs, ils sont 63% de français sondés à considérer que les entreprises exprimant une raison d’être le font par opportunisme. Pour autant cette qualification (comme certaines autres), qui constitue une forme de levier réputationnel, ouvre la possibilité aux salariés, de manifester leur opposabilité aux principes affirmés.

L’affirmation des ambitions légitimes du rééquilibrage de la valeur de l’entreprise, vers des critères non exclusivement financiers, est assurément loin de s’être concrétisée. Pour autant, des témoignages de professionnels cités, et c’est la bonne nouvelle, confirment que les jeunes exigent de la part des dirigeants d’entreprises, un engagement de plus en plus conséquent sur ces enjeux environnementaux, sociaux, sociétaux des entreprises, en souhaitant bénéficier de leurs appuis et de leurs ressources (temps, formation…). Une dynamique assurément potentiellement prometteuse.

On notera également que Suzy Canivenc mobilise d’autres leviers s’agissant des pratiques internes de l’entreprise (processus RH, modes de management, parcours de carrière, etc.) qui se combinent et se nourrissent mutuellement avec les démarches de RSE évoquées ci-dessus.

Voilà donc un ouvrage académique, aisément lisible, de belle facture et convaincant, qui vient à point nommé rabattre singulièrement les cartes au regard des préjugés générationnels tenaces, associés aux jeunes actifs.

Le rapport au travail des jeunes, loin des stéréotypes.
« Rapport au travail. Loin des stéréotypes, les actifs de moins de 30 ans sont motivés et engagés par leur évolution professionnelle / Un portrait positif de la jeunesse au travail : au-delà des mythes »
Terra Nova et APEC, 2024

L’association Terra Nova et l’Apec ont confié à Harris Interactive la réalisation d’une large étude robuste et approfondie dont l’objectif consiste à mieux appréhender la relation des jeunes actifs au travail (cadres et non cadres du secteur privé) et saisir la manière dont elle se différencie au non de celle de leurs ainés. Cela afin de valider ou non les préjugés et stéréotype qui circulent en effet largement sur cette population.

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Soulignons d’emblée la robustesse du dispositif méthodologique qui repose sur une étude quantitative en ligne réalisée en septembre et octobre 2023, sur la base originale de deux échantillons (principal et miroir). Le principal comportant 3 073 jeunes actifs de moins de 30 ans représentatifs. L’échantillon miroir comprenant 2 045 actifs de 30 à 65 ans représentatifs. Ce double échantillon permettant de comparer systémati-quement les réponses des jeunes actifs à celles des autres générations

Les résultats particuliers de l’échantillon miroir.

Il comporte, s’agissant de la perception des jeunes actifs par leurs ainés, des résultats qui peuvent apparemment surprendre. Ainsi, ils sont 93% des managers, toutes générations confondues, à considérer que les jeunes ont un rapport au travail différent de leurs ainés Par ailleurs, 66% de ces managers les décrivent comme moins fidèle, 63% comme moins respectueux de l’autorité et 59% les décrivent comme moins investis. Au regard de l’organisation du travail, 42 % des actifs ainés (30-45 ans), et 45% de responsables hiérarchiques considèrent que l’arrivée de cette génération va tendre à dégrader l’organisation du travail. En d’autres termes, les préjugés évoqués sont bien présents au sein de l’entreprise.

Ce qu’expriment les jeunes actifs d’eux-mêmes est paradoxalement également assez surprenant : leur très grande majorité (91%), considère ainsi que leur rapport au travail diffère sensiblement de celui de leurs aînés. Une majorité pense qu’ils sont moins « investis » que leurs ainés (54%), moins « fidèles » (62%), moins « respectueux de l’autorité » (62%). Ils sont 49% à se considérer plus « individualistes ». Cet auto-regard sévère et négatif est ainsi curieusement en de nombreux points semblable à l’image médiatique réputationnelle souvent stéréotypée qui leur est souvent associée. Auraient-ils alors intériorisé cette représentation ainsi que celle émise par leurs ainés, comme le suggère cette étude ? Pour autant, leurs réponses à l’enquête au regard de leur rapport au travail, présente un portait singulièrement différent, voir opposé à ce qu’ils expriment.

Deux traits principaux comparables à ceux de leurs ainés, apparaissent chez les jeunes actifs, s’agissant de leur investissements et de leurs attentes dans leur travail. En revanche, ils s’en distinguent par une forte envie de progresser, propre au début de carrière.

Les jeunes actifs (cadres et non cadres) se déclarent tout aussi investis dans leur travail et leur organisation que leurs aînés. Ils accordent autant d’importance à leur travail que leurs aînés : 47 % le jugent plus ou aussi important que les autres sphères de son existence versus 47 % des 30 à 44 ans et 36 % des 45 ans et plus. A noter que les cadres, toutes générations confondues, sont plus nombreux à considérer que leur travail occupe une place importance dans leur vie. Ces données attestent, comme le soulignent les auteurs de cette étude, que « le travail conserve une place importante parmi les éléments constitutifs de l’identité, y compris, voire surtout chez les jeunes ».

Ils sont par ailleurs disposés à s’investir au travail ainsi que dans leur entreprise, au-delà du simple rapport contractuel. Ainsi, 78 % se déclarent prêts à travailler plus en cas de pic d’activité s’ils sont rémunérés, et même 52 % en l’absence de contrepartie. Par ailleurs, ces jeunes actifs affichent pour 69% leur attachement à leur entreprise, proportion très proche de celles de leurs ainés (67%). Ils ne s’inscrivent donc pas dans une relation purement contractuelle et instrumentale au regard de l’entreprise et manifestent également une confiance significative avec les autres acteurs de l’entreprise.

Ils acceptent également facilement l’autorité hiérarchique :40% déclarent ainsi accepter par principe les décisions de leur hiérarchie et 43 % les appliquer à partir du moment où ils les comprennent. Ils semblent donc aussi à l’aise que leurs ainés avec l’autorité lorsqu’elle se fonde sur la confiance et le dialogue.

Les jeunes actifs formulent les mêmes attentes fondamentales envers le travail que les plus âgés : la rémunération, l’intérêt des missions et l’équilibre de vie. Tous les actifs positionnent la rémunération en tête et à des niveaux tout à fait comparables (55 % des 18-29 ans, 55 % des 30-44 ans et 51 % des 45-65 ans). Pour autant et de manière logique, ce positionnement varie selon l’âge et l’avancement dans la vie professionnelle : les jeunes souhaitant plus fortement voir leur rémunération progresser, alors que les plus âgés manifestent davantage le besoin de percevoir des revenus réguliers.

L’intérêt du travail constitue pour tous ces actifs, la seconde caractéristique la plus citée au regard des attentes importantes dans la vie professionnelle, soit 41 % des moins de trente ans, versus 44 % des 30-44 ans et 49 % des 45-65 ans. Les jeunes manifestent comme leurs ainés un besoin d’épanouissement dans leur travail avec, de manière plus marquée que ces derniers, un intérêt pour une diversité des missions et une variété des activités. Mais curieusement, ils ne manifestent pas nécessairement le besoin ou le sentiment d’avoir un travail utile, qui a du sens ou la

possibilité de travailler en toute autonomie. Ce qui remet en cause singulièrement cette fameuse quête du « sens au travail »…
L’équilibre de vie complète le triptyque des attentes des jeunes actifs, qui le considèrent toutefois légèrement moins important que leurs aînés, ce qui constitue à certains égards une nouvelle surprise (34 %, versus 38 % des 30-44 ans et 45 % des 45-65 ans). Situation qui se retrouve également chez les jeunes cadres (36 % contre 43 % des cadres de 30-44 ans et 47 % des cadres de 45 ans et plus). S’agissant des jeunes actifs, ce souhait d’équilibre de vie doit se conjuguer avec leur envie forte d’évoluer et d’être reconnus dans leur entreprise.

En revanche, les jeunes actifs se distinguent de leurs aînés par une forte envie de progresser, propre au début de carrière. Ils expriment un fort désir de gagner en responsabilités, en autonomie et en rémunération (89% expriment le souhait de gagner plus d’argent, 80 % de devenir plus autonomes au travail, 69 % d’exercer plus de responsabilités professionnelles et 50 % de devenir managers pour ceux qui ne le sont pas). Ces pourcentages sont en effet tous supérieurs à ceux de leurs ainés. Cette forte envie de progression apparait dans trois domaines : attentes au regard du travail (formation, perspectives d’évolution professionnelle) et envers leur manager ainsi que des critères de choix d’un employeur.

Ces jeunes actifs sont majoritairement favorables au télétravail (72% favorable à son exercice régulier), avec des scores proches de leurs ainés (80 % chez les 30- 44 ans et 75 % chez les 45-65 ans). Mais ils sont plus nombreux que leurs ainés à considérer que le télétravail puisse leur être préjudiciables et freiner leur évolution professionnelle.

Au-delà de ces constats, le rapport des jeunes actifs au travail se caractérise par une forte hétérogénéité, liée aux positions sociales et aux emplois occupés. Les auteurs de l’enquête identifient et caractérisent à cet effet six différents types de rapport au travail émergeant parmi les jeunes actifs, au regard de leur vécu actuel du travail et de leur projection dans le futur qui sont reproduits dans le tableau ci- dessous.

Cinq critères ont été par ailleurs relevés pour affiner cette présentation :

  1. l’aisance financière de la famille ;
  2. la correspondance métier/études/souhait ;
  3. l’importance accordée au travail ;
  4. la satisfaction professionnelle ;
  5. l’ambition professionnelle.

Ces critères se dégradent au fur et à mesure que l’on décline les groupes : ils apparaissent ainsi très importants pour le groupe des ambitieux et faiblement important s’agissant du groupe des découragés. De même une distinction significative de nature comparable, se retrouve s’agissant de la catégorie socioprofessionnelle.

Ainsi les Ambitieux sont quasiment majoritaires chez les indépendants et les cadres, alors qu’ils se situent à l’opposé au tiers pour la catégorie des ouvriers. Inversement, les Décourages s’élèvent à 13% pour les cadres (et 2 % pour les indépendants) contre 12% pour les ouvriers. Pour autant, relevons que ces derniers sont 27% à être Combatifs contre 13% des cadres (et seulement 2% des indépendants…). On peut toutefois concevoir que cette hétérogénéité sociale se retrouve également chez leurs ainés, avec des proportions qui peuvent naturellement être différentes.

GROUPES CARACTERISTIQUES

Les Ambitieux
39% des jeunes actifs en emploi
Déjà bien lotis, ils affichent encore un fort appétit pour leur carrière.
Les Combatifs
14% des jeunes actifs en emploi
Estimant être à leur place, ils expriment peu de désirs de changements professionnels.
Les Attentistes
11% des jeunes actifs en emploi
Installés dans une routine, ils aimeraient voir s’ouvrir de nouvelles per- spectives professionnelles.
Les Distanciés
6% des jeunes actifs en emploi
Dans un train-train qu’ils jugent confortable, ils aspirent au statu quo.
Les Combatifs
20% des jeunes actifs en emploi
Peu épanouis professionnellement pour le moment, ils aspirent encore à prendre une revanche sociale via le travail.
Les Découragés
10% des jeunes actifs en emploi
Les Découragés Ne voyant dans le travail aucune voie d’épanouisse- ment, ils affichent une certaine résignation.

Que retenir de ces portraits ?

L’ouvrage de recherche de Suzy Canivenc, comme l’étude de l’APEC / Terra Nova apportent un correctif étayé pour le moins très conséquent aux regard des représentations, préjugés et stéréotypes circulant dans certains médias et ouvrages managériaux : le rapport au travail de ces jeunes actifs est quasiment le même à bien des égards que celui de leurs ainés.

Ces travaux convergent en particulier sur un point majeur : les jeunes actifs sont autant investis et engagés que leurs ainés dans leur rapport au travail. Par ailleurs ils acceptent facilement l’autorité hiérarchique souligne Terra Nova, quand Suzy Canivenc relève de son côté, qu’ils ne sont pas plus individualistes que leurs ainés.

Leurs travaux apportent par ailleurs des compléments et des nuances sur d’autres aspects. Ainsi sur la fameuse question de recherche de la « quête de sens au travail », qui ne serait largement que l’apanage d’une large majorité des jeunes générations, l’autrice souligne qu’il ne lui est pas en réalité quasi-exclusivement associé. L’enquête relevant pour sa part que cette « quête de sens » n’est pas explicitement revendiquée.

Cette même étude met également à bas la tendance tenace selon laquelle seule une majorité les jeunes actifs seraient porteurs de la demande d’équilibre de vie. De même, Suzy Canivenc relève que les thématiques liées aux questions climatiques, à l’égalité des genres ou l’antiracisme ne sont pas associés aux seules jeunes actifs. C’est pourtant bien de leur côté que les exigences d’une forme de capitalisme mobilisant effectivement des valeurs extra-financières apparait porteur d’avenir.

Cette représentation dégradée des jeunes actifs demeure profondément regrettable et dommageable notamment en ce qu’elle tend à entretenir et générer la méfiance de certains dirigeants et managers. Puisse cet ouvrage et cette étude étayée, dont le mérite est de tordre le cou aux représentations médiatiques de façade, contribuer à positionner cette génération simplement à la place qui est la sienne.

Jean-Pierre Bouchez

Jean-Pierre Bouchez est directeur de recherche à l’université de Paris-Saclay.

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