Mieux accompagner les dirigeants d’entreprise est essentiel pour relever les défis du monde de demain, site à notre étude de 2023 un article a été publié dans la HBR France, sous les signatures de Isabelle Barth, Laurentia Benrubi, et Dominique Turcq.

https://www.hbrfrance.fr/leadership/des-cles-pour-laccompagnement-des-dirigeants-face-au-monde-de-demain-60412

En voici les principaux points :

Les dirigeants d’entreprises ressentent un profond malaise face aux évolutions radicales de leur environnement professionnel et avouent ne pas se sentir prêts pour relever les défis qui s’annoncent. Une étude de l’Institut Boostzone menée de février à octobre 2023 permet de mettre au jour des pistes pour un nouvel accompagnement de ces dirigeants afin de mieux les préparer aux évolutions de leur environnement économique, social, technologique et environnemental.

Ces évolutions sont perçues comme de véritables ruptures qui se succèdent à un rythme de plus en plus accéléré et laissent ces dirigeants en plein désarroi.

Ce monde est maintenant BANI, comme l’a nommé le prospectiviste Jaimas Cascio pour Fragile (Brittle), Anxiogène, Non Linéaire et Incompréhensible. 

Pour diriger dans cette grande incertitude, les dirigeants nous disent qu’il leur faut d’autres compétences, mais quelles compétences ? Et avec quelles modalités d’acquisition ?

Ce sont ces réponses qu’apportent l’étude de l’institut Boostzone avec 58 entretiens approfondis de dirigeants et deux groupes de dirigeants, y compris des DRH, et d’experts RH et académiques.

  1. Comprendre le grand malaise des dirigeants

Pour imaginer de nouvelles modalités d’accompagnement, il faut dresser un diagnostic solide.

11. La première phase du diagnostic : des entretiens approfondis pour recueillir les préoccupations et questionnements des dirigeants sur leur développement

La première phase de l’étude permet de dresser un diagnostic très pointu et réaliste du ressenti des dirigeants aujourd’hui[1].

Elle a permis d’interroger en profondeur (en moyenne 90mn) des dirigeants – membres de Comex de très grands groupes et membres de CA, aussi bien que patrons d’ETI, avec des entretiens semi-directifs, en leur laissant une grande liberté de parole. 

Que nous disent-ils ?

Une analyse de ces entretiens de façon inductive permet d’identifier 4 grands thèmes avec une structuration par sous thèmes. Des verbatims illustrent les propos recueillis.

Les défis majeurs évoqués dans l’effet miroir :

Les dirigeants désignent :

– les nouvelles responsabilités liées aux défis RSE de l’entreprise

« Il y a une dilatation des compétences. La composante sociale et sociétale apportée par la RSE se retrouve dans toutes les fonctions et dans les instances de gouvernance. »

– la primauté de l’humain et de la relation

« De nouveaux univers et champs des possibles s’ouvrent à nous (technologiques, scientifiques), on a besoin de lien humain et d’ancrage local. Il est indispensable d’avoir une culture du facteur humain, or les dirigeants n’ont pas les clés de décodage. »

– la complexité des décisions et les nouvelles exigences éthiques

« On est soumis à de multiples injonctions, à des dissonances cognitives et émotionnelles. »« Compte tenu de la complexité, la responsabilité et l’éthique deviennent centrales »

– le besoin de mettre en adéquation performances et responsabilités – donc de revoir complètement les indicateurs

« On doit remettre la performance dans sa nouvelle acception au cœur du travail du dirigeant »

– les nouvelles dynamiques de collaborations au sein d’écosystèmes ramifiés 

« Dans une société collaborative, avec de nouveaux modèles de partage de valeur, on doit savoir travailler en réseaux, même entre concurrents. S’adapter aux différents cercles tout en restant aligné et cohérent. » 

« Que veut on être ensemble ? de quelle diversité avons-nous besoin ? Quelle est notre éthique de travail ? »  

Face à cette nouvelle donne, les dirigeants actuels ont conscience qu’ils n’ont pas les compétences adéquates et émettent le désir expriment le besoin de développer d’un développement de compétences inédites.

12. L’avis d’expert conduit par les intervenants :

Cet avis d’expert est une prise de recul vis-à-vis de l’effet miroir. Il se structure en 3 temps :

1/ La mise au jour d’un écosystème complexe 

Le développement du dirigeant doit s’inscrire dans une vision claire et systémique de son écosystème, c’est-à-dire l’ensemble des relations qu’il doit gérer, comprendre, modifier en permanence. La cartographie de cet écosystème se construit autour de 4 thèmes / pôles tous en interactions constantes.

  • La relation à soi
    • La relation aux autorités,
    • La relation à ses compétences, son métier,
    • La relation au monde (socio, techno, valeurs)

Chacune de ces thématiques peut elle-même être structurée autour de sous-thèmes comme le montre le schéma ci-dessous.

2/ Des dimensions sous développées, d’autres hypertrophiées

Certaines des relations considérées comme vitales pour un dirigeant en phase avec les nouvelles contraintes de son environnement sont particulièrement « atrophiées » alors que d’autres sont « hypertrophiées ».

Les sujets surdimensionnés et qui sont omniprésents dans les représentations sur les dirigeants :

  • le mythe du dirigeant décideur  
  • La soumission au CA
  • La recherche exacerbée du consensus et de l’alignement 
  • La personnalité du dirigeant et la place de l’égo
  • Le rapport au temps court et à l’agenda

D’autres thèmes sont au contraire atrophiés et demandent à être pris en compte rapidement. Ils amorcent les pistes à suivre pour le nouvel accompagnement à imaginer.

On peut citer : 

  • La conscience RSE, 
    • L’autonomie du dirigeant dans un système de contraintes multiples
    • La compréhension des attentes sociétales nouvelles
    • La vigilance sur les impacts de la société sur l’entreprise et sa culture
    • L’intelligence émotionnelle et l’intuition
    • Le rapport au temps long et à la chronologie
  • Des pistes pour un nouvel accompagnement des dirigeants dans le monde de demain

A partir de ce diagnostic, des groupes d’intelligence collective composés d’un échantillon des personnes interviewées de dirigeants, d’experts managériaux et académiques émettent des propositions de pistes innovantes.

La méthode est celle d’un brainstorming structuré, sans filtre, et surtout, en sachant se défaire des croyances et habitudes et autres « bonnes pratiques » 

Il ressort de ces deux séances d’une demi-journée chacune, deux types d’apports : les thématiques de développement essentielles pour le développement du dirigeant demain, et de façon concomitante les nouvelles modalités d’accompagnement.

21Lémergence de « so what » innovants pour le développement des dirigeants

En propos liminaire, les groupes de réflexion se sont accordés sur un postulat : il est urgent de mettre à distance des pratiques fondées sur des visions dépassées. Il s’agit de sortir d’une représentation fantasmée du dirigeant, qui n’est plus en phase avec les attentes actuelles.

La posture ne peut être que le désapprentissage.

A titre d’exemples de cadres vus comme obsolètes, on peut citer : 

  • La théorie de l’agent, qui décrit un dirigeant soumis à sa gouvernance,
    • Les KPI biaisés et limités à la performance financière
    • La valorisation des personnalités très forte, voire avec hubris

En travaillant en particulier sur les tensions inhérentes à l’écosystème identifié, les groupes ont mis en évidence, de nouveaux enjeux pour le développement des dirigeants : 

  • Comment mobiliser l’intelligence collective face à des attentes multiples et souvent divergentes 
  • Comment investir et articuler de nouvelles responsabilités (par exemple : entre les actionnaires et la raison d’être)
  • Comment cultiver l’humanisme en valorisant la diversité
  • Comment exercer sa liberté en discernant les fausses contraintes

On observe qu’ils sont transverses aux thèmes identifiés dans le diagnostic, l’objectif est bien d’accompagner le dirigeant dans une vision systémique de son activité.

Les groupes ont fait émerger des « sowhats » car le défi est de ne pas sombrer dans les évidences et, bien au contraire, de faire des propositions qui peuvent connaitre des mises en œuvre concrètes et rapides.

Parmi ces propositions, à titre d’exemples :   

  • Redéfinir le rôle du dirigeant et en conséquence le mode de recrutement, d’évaluation, de rémunération.  
  • Nommer et évaluer les dirigeants sur d’autres critères que la performance financière. Mettre dans les critères de nominations des éléments concrets et factuels de ses engagements

 Intégrer dans les critères de sélection des dirigeants : savoir poser les bonnes questions, savoir accueillir le doute.  

Changer les profils d’administrateurs : variété des profils, redéfinir les compétences et interdire la cooptation. Un organisme indépendant pour proposer des administrateurs.

 Supervision du CEO par le Board sur les dimensions humaines, humanistes et sociétales.

–       Avoir un rôle de contradicteur tournant au sein du Board.

–       Les parties prenantes deviennent parties constitutives : co-définir la performance, coconstruire le projet stratégique, savoir organiser un vrai dialogue  

–       Pas d’action de développement individuel du dirigeant mais que du collectif (Comex, Codir) : vivre des expériences apprenantes 

–       Sortir du tout intellectuel et intégrer corps / émotions / création (art)

22. Les nouvelles modalités d’accompagnement à mettre en œuvre 

Quels nouveaux dispositifs concrets pour porter ces propositions ambitieuses ? 

L’idée force issue de cette étude est qu’il faut cesser de proposer des formations disjonctives (et souvent déconnectées) de la pratique, et au contraire, enchâsser les accompagnements DANS le quotidien des dirigeants.

Des exemples inspirants… et encore trop rares : 

  • Interrompre un conseil de direction et demander à un des membres de « monter au balcon », c’est-à-dire de se poser en spectateur des échanges en cours pour faire prendre du recul à l’ensemble des acteurs en présence (pratique identifiée au sein d’un grand groupe industriel français)
  • Faire des ONG de véritables parties prenantes de la stratégie de l’entreprise, (L’Oreal)
  • Aller sur le terrain SEUL pour en connaitre la réalité et pas une image construite par les échelons intermédiaires, (pratique observée dans une grande entreprise logistique française) 
  • Demander à un binôme de membres du Comex de documenter des analyses de problèmes (non sous-traitables) et de présenter des propositions formalisées pour débat et enrichissement sans décisions immédiates (Aramis Auto)
  • Installer un siège pour la Nature, comme l’a fait l’entreprise britannique Faith in Nature,
  • Interrompre une prise de décision s’il y a consensus dans la réunion et la reporter (comme le pratique Jeff Bezos),
  • Pratiquer des dialogues avec des parties prenantes identifiées pour leur compétences et non leur statut.

Ce ne sont que quelques exemples de dispositifs urgents à mettre en place, profondément déstabilisants certes, mais sans cette radicalité, il apparait comme peine perdue d’avoir des dirigeants capables de relever tous les défis d’un monde traversé de transformations d’autant plus profondes que la plupart sont silencieuses.


[1] Avec ce bais néanmoins que les dirigeants qui ont manifesté un intérêt pour l’étude sont des dirigeants ouverts aux questions de développement – ce qui ne semble pas le cas de la majorité si l’on se réfère à l’expérience des DRH et Resp du Talent Management. La question sous-jacente : les dirigeants ont-ils envie de se développer ? sont-ils responsables de leur développement ?

des croyances et habitudes et autres « bonnes pratiques » 

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