Ouf, le robot Pepper a été mis à la retraite par les quelques enseignes commerciales qui l’utilisaient ! L’hôtel entièrement robotisé Henna Hotel au Japon a licencié une partie de ses robots et remis en place des humains. Un article récent dans le Monde dénonçait le côté kafkaïen et inhumain des nouvelles relations avec l’administration, trop digitalisées.
De nombreux exemples nous incitent à voir les excès de la digitalisation et comment y remédier. La digitalisation permet sans aucun doute de gagner en efficacité et en réduction des erreurs humaines, mais elle nous fait perdre en humanité. Elle était, et reste, un facteur extraordinaire de gains de productivité individuelle et collective. Il ne s’agit pas de revenir dessus ou de bloquer ses prochains développements. Il s’agit juste ici de savoir quand trop de digitalisation transactionnelle tue la relation humaine. Et pour une entreprise, de savoir quand elle peut tirer un avantage compétitif en étant capable de remettre de l’humain là où il faut, en plus du numérique, afin de correspondre aux besoins des utilisateurs ou consommateurs ou employés, en vitesse, en exactitude, en rapports humains. Digitaliser les transactions seulement en fonction des besoins réels des utilisateurs, voici une nouvelle frontière.
La dé digitalisation est toutefois loin d’être une bataille gagnée. D’ailleurs, elle n’a qu’à peine commencé. Elle se heurte à plusieurs obstacles mais bénéficie aussi de plusieurs leviers. Voyons deux de ces obstacles.
L’obstacle le plus fréquemment cité est bien sûr d’abord le coût de l’humain. Mettre une seconde personne dans un bus ou un tram ou remettre des agents sur les quais du métro certes mettra plus de lien humain, permettra plus de sécurité pour tous, mais dans un monde où la productivité du travail et la baisse des coûts sont divinisées, c’est un blasphème rien que d’y penser. Et la réponse classique est de dire « mais les consommateurs sont-ils prêts à payer plus cher » ? Eh bien il va falloir s’interroger sur deux points. Est-ce toujours au consommateur de payer ? Et n’est-il jamais d’accord pour payer ? Lui a -t-on demandé ?
Sur le premier point, regardons où nous allons et où nous pourrions aller avec la « sociétalisation » des revenus. En effet, une partie non négligeable des revenus a déjà été sociétalisée. Que l’on songe au chômage, aux transferts divers, aux compensations pour l’inflation ou pour le prix de l’énergie, aux crédits d’impôt pour l’emploi de salariés humains à domicile, et demain peut-être au revenu universel. Ces exemples montrent que notre société est déjà prête à envisager une sociétalisation partielle d’un coût supplémentaire du travail pour permettre plus de transferts et plus de travail humain. Pouvons-nous imaginer que ces efforts permettent plus de liens sociaux ?
Sur le second point, le fait que le consommateur soit prêt ou non à payer des différences de traitement en fonction du service rendu. Autrefois, des consommateurs payaient pour voyager en métro en première. Aujourd’hui des clients de banque ou de sociétés de services payent pour accéder à un service plus, à une hotline dédiée, etc. La BNP expérimente aujourd’hui le choix entre un service standard et un conseiller bancaire dédié (et payant) et pas seulement dans sa partie banque privée. Des stations-service en Italie expérimentent des pompes sans service et des pompes avec service, où le carburant est plus cher mais où on a réinventé le rôle du pompiste. Les sociétés de location de voiture font payer une option pour un service d’assistance, au cas où. Il n’y a aucune raison de penser que faire payer le consommateur pour un service humain se limite aux plus aisés et ne touche pas plus de catégories de consommateurs. Déjà de nombreuses hotlines vous annoncent que le service va vous coûter x centimes la minute pour parler à un agent humain.
Un second obstacle, peut-être plus pernicieux, à la dé digitalisation et au retour d’une dose d’humain, est un phénomène sociétal de dévalorisation de fait du rapport humain de service. La valorisation du contact humain est quasiment absente des indicateurs immatériels de performances dans les entreprises. Elle apparaît, à peine, dans les questionnaires d’évaluation par les consommateurs de la qualité de leur interlocuteur ou vendeur et sert surtout de moyen de pression sur ces derniers. Cela reflète probablement en partie la crise d’une culture de service où les emplois de proximité sont dévalorisés et où le mot « servir » n’a plus en France le sens qu’il a aux USA ou évidemment au Japon. Pourtant, la crise du Covid a bien montré l’importance des métiers de proximité et du contact humain.
Sur cet obstacle culturel, il va falloir travailler à plusieurs niveaux, celui des rémunérations, qui complète les remarques faites ci-dessus, mais aussi celui de la valorisation sociale, hors rémunération, des emplois de proximité, de service, de contact, de sécurité, de lien social. Là nous sommes tous responsables. Essayons d’y penser.