Comment intégrer les générations futures dans la gouvernance ?
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Laboratoire brossage de tête du 19 mai 2022

Présentation introductive par Dominique Turcq 

Le 19 mai dernier a eu lieu notre premier brossage de tête, dans un bistrot parisien autour d’une planche de saucissons et de fromages.

A l’intérieur de notre thème général « Comment mettre de l’enthousiasme dans les 30 décisives », ce prototype pilote d’essai a reposé sur un échauffement et une discussion de fond.

L’échauffement a consisté à réfléchir sur les freins à l’enthousiasme dans le monde contemporain, la discussion de fond a porté sur la gouvernance et les générations futures.

Une trentaine de participants d’horizons et de générations variés ont débattu le sujet de la gouvernance et des générations futures. Chacun en a retiré quelque chose. 

Ce document est juste l’introduction du thème, il ne reprend pas les commentaires et les réflexions qui ont été présentés ce jour-là. 

Rappel : la gouvernance c’est la façon dont sont fixées et appliquées les règles de fonctionnement d’un corps social comme :

  • Les organisations internationales
  • L’État et toutes les organisations sociales qui en dépendent, dont les universités, etc.
  • Les entreprises
  • Les associations de toutes sortes
  • Les villes et autres collectivités géographiques
  • Les quartiers
  • La famille

Pourquoi la question ne s’est-elle pas posée si puissamment avant ?

  • Certes, avant, le paysan plantait un chêne pour ses petits-enfants et le noble ne se considérait pas comme propriétaire mais comme dépositaire, mais l’enjeu restait pour tous familial et local et non pas sociétal et global.
  • Aujourd’hui les ressources, on le sait, sont limitées et les dates d’épuisement sont proches.
  • Et le climat se dérègle durablement par suite de l’action de l’espèce humaine.
  • Sociologiquement, au moins dans les pays les plus développés, la responsabilité des parents s’est inversée au XXème siècle. Elle est passée de « les enfants sont là pour rendre les parents heureux (Comtesse de Ségur) ou pour être des bras plutôt que des bouches à nourrir (monde paysan) », à : « les parents doivent aider les enfants à être heureux et à prendre l’ascenseur social » (années 30 à 50), puis désormais : « Les parents sont responsables de l’état du monde pour les générations futures » (Greta Thunberg).
  • Enfin, globalement, en particulier pour toutes ces raisons, la société est en demande d’une vision renouvelée de l’avenir.

Qu’est-ce qu’une génération future ?

  • Ce ne sont pas les jeunes… car ils ne sont que des représentants (et encore, tant les catégories d’opinions sont différentes, nous ne représentons d’ailleurs pas mieux les « séniors ») de leur génération et ils seront « vieux » en 2050. 
  • C’est tous ceux à qui nous laissons une planète à vivre.

Faut-il réfléchir en termes de demandes à prévoir par les générations futures ou en termes de ce que nous laissons en héritage ?

Il n’est pas possible de penser, ou très peu, en termes de ce que les générations futures demanderont. Comment en effet être intelligent quant aux éléments d’acceptation et de refus social endéans les 30 ans alors que la société va considérablement évoluer ? Quelques exemples de ces difficultés :

  • Il y aura probablement plus d’acceptation de :
    • Manipulations génétiques d’enrichissement de l’humain
    • Chirurgie esthétique
  • Et moins d’acceptation de :
    • CO2 et pollutions diverses
    • Faible productivité des entrants et gaspillage de ressources par les industriels

À moyen terme, les nouvelles générations vont être probablement plus exigeantes et demander de plus en plus de comptes en fonction de l’évolution de la morale sociale et du « tribunal social » par exemple sur :

  • Les politiques environnementales et le greenwashing
    • Les politiques sociales et le socialwashing
    • Des valeurs morales autour des rémunérations des dirigeants, des actionnaires, et le valuewashing des grandes organisations
    • Socialement autour des valeurs morales concernant les inégalités et injustices
    • Socialement on verra probablement de plus en plus de jugement autour de la rétro responsabilité (être responsable plus tard de ce que l’on fait aujourd’hui et qui n’est pas encore inacceptable mais qui le deviendra).

Mais, même sur ces points, rien n’est garanti. Penser pour les générations futures est donc quasiment impossible, surtout à long terme. 

En revanche, il est relativement facile de penser en termes d’héritage que nous laissons. 

C’est évidemment le cas de la santé de la planète avec son climat, sa biodiversité, etc. 

Mais c’est aussi le cas avec les progrès en cours ou à venir que nous laissons ou non aux générations futures comme la santé et la biologie, la physique quantique, les technologies d’énergie nucléaire, la réflexion sur la conquête de l’espace, l’intelligence artificielle, etc.

Nous laissons aussi des yottabytes (1024bytes) de données que les générations suivantes pourront utiliser, montant ainsi, comme les scientifiques depuis toujours, sur les épaules de ceux qui les ont précédés.

Nous laissons aussi des institutions de gouvernance, justement, qui peuvent durer des décennies voire des siècles comme une loi fondamentale (la constitution américaine date de 1787…), des lois et des principes formalisés, comme l’abolition de l’esclavage ou celle de la peine de mort ou encore le droit à l’avortement, la composition d’une cour suprême, etc. C’est là une responsabilité importante car justement le monde que nous laissons n’est pas celui dans lequel nous avons grandi ni celui dans lequel nous vivons aujourd’hui.

Nous laissons aussi en héritage des éléments de culture et de valeurs, familiales ou civilisationnelles, des approches éthiques. Parfois, voire souvent, un héritage religieux. Quelquefois, ce sont aussi de grands récits, chaque époque a ses Homère et ses Odyssée. Quelles sont celles de la nôtre ?

Quelquefois nous pensons aux générations futures en mettant en place ces éléments, mais les intégrons nous assez dans le cadre présent ?

Comment les économistes, les politiques et les scientifiques peuvent-ils / doivent-ils intégrer les générations futures ?

Quelques questions en vrac :

  • Comment intégrer la valeur des ressources planétaires de demain avec les impératifs d’aujourd’hui (fin du monde vs fin du mois) ? Peut-on inclure le cout actualisé net des ressources consommées dans nos plans ?
  • Comment sortir du paradigme économique, en place plus ou moins consciemment depuis le XVIIIème siècle, selon lequel les individus et les organisations ne pensent qu’à maximiser leur bonheur présent ou leur profit ?
  • Comment préserver la santé des générations futures quand nous commençons à découvrir que les perturbateurs endocriniens amènent des modifications génétiques transmissibles de génération en génération ? Jusqu’où, dans ce domaine, comme dans d’autres, pousser le principe de précaution sans paralyser le progrès humain et scientifique ?
  • Comment faire accepter aux dirigeants que le monde ne se résume certes plus à la maximisation du profit mais qu’il ne résume pas non plus « simplement » à la réduction des émissions de CO2 (cf. le lobby des industriels français et allemands auprès de la Commission européenne pour que l’on ne s’occupe pour l’instant que des normes climatiques dans la normalisation RSE des entreprises) et enfin que la diversité ne se résume pas à une question de genres ?
  • Comment faire entrer d’autres parties concernées (que d’autres appellent « parties prenantes » alors que certaines ne prennent rien sauf des coups) dans la logique de gouvernance de la planète, notamment les fleuves, les forêts, des territoires terrestres et marins, des lieux historiques et remarquables (comme le fait l’UNESCO) ? En effet protéger dès maintenant les parties concernées fera partie d’un avenir plus protégé.

Comment intégrer ces réflexions dans la gouvernance ?  Penser la prise en compte des générations futures c’est changer la structure des instances de gouvernance.

Quelques suggestions pour la discussion :

  • Avoir un administrateur dans les entreprises en charge de la défense des générations futures ? (Mais qui va le nommer ? Les actionnaires ? L’État ? Une constitution modifiée ?)
  • Avoir un ministère des générations futures ? 
  • Demander à chaque parlementaire sa charte pour les générations futures ? 
  • Accepter formellement dans les tribunaux des plaintes déposées au nom des générations futures ? Il y a un premier cas en aout 2015 où l’un des 21 plaignants est « générations futures » ; dans Juliana v. United States, attaquant le gouvernement US, qualifiant son action de viol des droits des citoyens (actuels et à venir) en permettant des niveaux dangereux d’utilisation de combustibles fossiles. Le cas n’est pas encore jugé.
  • Accepter formellement que des parties concernées sans existence juridique en reçoivent une ? Des fleuves, des montagnes, des territoires, etc.
  • Inclure dans la cartographie des risques d’entreprises le fait d’être attaqué demain pour des actions d’aujourd’hui mettant potentiellement en danger la santé physique ou mentale des humains de demain.
  • Inclure dans les analyses d’investissements le coût du démantèlement, du nettoyage de dépollution, de l’obsolescence des actifs (les « stranded assets ») ?
  • Inclure dans la valorisation des actifs non seulement leur dépréciation due au réchauffement climatique, à la montée des eaux, etc. mais aussi les dédommagements qu’il faudra offrir un jour aux victimes (E. g. immobilier)

Pourquoi je me pose ces questions ?

En 1962 Rachel Carson dénonçait les dangers du DTT, il fut enfin interdit en 1972 pour protéger les générations d’aujourd’hui. 

En 1972, paraissait le rapport Meadows (dit rapport du Club de Rome) qui annonçait tout ce qui se passe aujourd’hui… qu’en avons-nous fait ?

En 1974 René Dumont, candidat écologiste à l’élection présidentielle lançait un avertissement solennel, concret et scientifiquement documenté, qu’en avons-nous fait ? (https://www.youtube.com/watch?v=nMRFKNu0f30&ab_channel=INAPolitique)

Pourquoi n’avons-nous pas agi plus et plus fort et plus vite ? Les générations futures sont notre responsabilité, que faire aujourd’hui ? Peut-on être moins aveugle et moins irresponsable que nous le fûmes ?

Une dernière suggestion question avant la discussion 

Et si la meilleure place pour la gouvernance des générations futures c’était dans la tête des hommes et des femmes, comme le chêne était dans la tête de l’agriculteur qui le plantait.

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